Eaux et développement durable

Développement durable : de nouvelles pratiques, de nouveaux risques sanitaires à évaluer

En visant notamment des économies d'eau et d'énergie, les politiques de développement durable induisent de nouvelles pratiques, dont il faut évaluer les risques sanitaires éventuels. De nombreux exemples illustrent les recherches de modalités nouvelles dans un but de développement durable appliqué à l’eau pour mieux gérer la consommation de la ressource, notamment pour la production d’eau du robinet, et faire face aux risques de pénurie. Plusieurs travaux d’évaluation des risques ont été réalisés dans ce champ et incluent : la réutilisation des eaux usées traitées pour l'arrosage des espaces verts ou l'irrigation des cultures, la réutilisation des eaux grises pour des usages domestiques, l’utilisation d’eau de pluie pour le lavage du linge,l'utilisation de l'eau de mer pour la production d'eau destinée à la consommation humaine, l’installation de turbines hydroélectriques sur des canalisations de production ou de distribution d'eau destinée à la consommation humaine, ou encore l’utilisation de fluides caloporteurs.

Dispositifs d’exploitation d’énergies renouvelables

Certains dispositifs d’exploitation d’énergies renouvelables sont susceptibles d’influer sur la qualité des ressources en eaux utilisées pour la production d’eau destinée à la consommation humaine (EDCH). Ainsi, l’Agence a élaboré :

  • en 2011, un rapport portant sur les principaux risques pour les ressources en eaux souterraines liées à l’installation, à l’exploitation, à la maintenance et à l’abandon de différents dispositifs d’exploitation d’énergies renouvelables (géothermie, capteurs solaires et éoliennes) dans les différents périmètres de protection des captages d’eau destinée à la consommation humaine ;
  • en 2008, des lignes directrices pour l'installation de turbines hydroélectriques sur des canalisations d'eaux brutes utilisées pour la production d'eaux destinées à la consommation humaine, sur des canalisations d'eau en cours de traitement et sur des canalisations d'eau destinée à la consommation humaine, afin que les dossiers de demande d’autorisation de ces dispositifs soient évalués et instruits par les Agences régionales de santé ;
  • en 2008, des lignes directrices pour l'évaluation de l'innocuité des fluides caloporteurs pouvant être utilisés dans les installations de traitement thermique des eaux destinées à la consommation humaine fonctionnant en simple échange, cette pratique étant en expansion avec l’utilisation des chauffe-eau solaires.

Utilisation d'eau de mer pour la production d'eau destinée à la consommation humaine

Dans le cadre du plan qualité de l’eau et gestion de la rareté (2014), quatre axes de travail ont été identifiés pour redonner les marges de manœuvres nécessaires à l’alimentation en eau potable et faire face à des sécheresses récurrentes dans un contexte de changement climatique. Un des axes concerne l’émergence de projets innovants afin de diversifier la ressource, notamment le dessalement d’eau de mer pour la production d’eau potable.

Conformément au Code de la santé publique (dispositions de l’article R. 1321-6), l’autorisation d’utilisation d’eau en vue de la production destinée à la consommation humaine est accordée par le préfet. Dans le cas particulier où la ressource utilisée pour la production d’eau destinée à la consommation humaine est l’eau de mer, la réglementation précise que tout projet de production d'eau destinée à la consommation humaine à partir d'eau de mer doit être soumis, pour avis, à l'Anses.

En 2009, l’Agence a produit des lignes directrices (PDF) relatives à la constitution du dossier de demande d'autorisation par le pétitionnaire, afin que les éléments transmis correspondent bien à ceux attendus par les experts.

Recyclage des effluents au sein des filières de traitement d’eau destinée à la consommation humaine

Les procédés de traitement mis en œuvre pour la production d’eau destinée à la consommation humaine peuvent générer des effluents liquides en quantité importante (exemples : effluents de déconditionnement de membranes, eaux de lavage de filtres, effluents de désinfection ou de régénération de supports de traitement, supports de traitement saturés, etc.).

La réutilisation des effluents de traitement dans la filière de production d'eau potable pouvant induire notamment des risques de contamination microbiologique des supports de traitement, l’Agence peut être consultée sur les projets d’autorisation de filière de potabilisation d'eau mettant en œuvre de telles pratiques.

En 2014, l'Anses a publié une démarche d’analyse des risques sanitaires liés au recyclage d’effluents de lavage afin d’aider, d’une part, les pétitionnaires dans la constitution de leur dossier de demandes d’autorisation et, d’autre part, les Agences régionales de santé dans l’expertise de telles demandes. L’avis et le rapport ont été révisés en juin 2017 (PDF).

Réutilisation d’eaux usées traitées

Utilisée dans certains pays où la ressource en eau fait défaut (notamment les pays du Maghreb, Israël, l'Australie et les Etats-Unis), la réutilisation d'eaux usées traitées est vue, en France, comme une alternative intéressante pour l'irrigation de cultures ou l'arrosage d'espaces verts. Cette pratique permettrait en effet de préserver la ressource en eau, notamment en cas de conditions climatiques défavorables (périodes de sécheresse prolongée) ou dans des zones de faible disponibilité des ressources en eau au regard des différents usages.

Cependant, les eaux usées urbaines, traitées par une station d'épuration, contiennent divers micro-organismes pathogènes et des substances chimiques organiques et minérales potentiellement toxiques. Les conditions de réutilisation d’eaux usées traitées pour les usages d'irrigation de cultures ou d'arrosage d'espaces verts sont soumises à encadrement réglementaire afin de prévenir les risques sanitaires potentiels liés à cette pratique.

Une expertise en trois temps

En 1991, un cadre a été proposé par le Conseil supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF). Sur cette base, un projet de réglementation a été élaboré par les pouvoirs publics qui l'ont soumis pour avis à l'Agence française de sécurité sanitaire de l'alimentation (Afssa). En 2008, l'Agence a ainsi rendu un premier avis relatif aux risques sanitaires pour l'Homme et les animaux, liés à une exposition par voie orale aux eaux usées traitées utilisées à des fins d'arrosage ou d'irrigation agricole.

En 2010, l'Agence a complété cette expertise par une évaluation des risques liés à la réutilisation d'un type d'eaux usées spécifiques (PDF), les effluents issus des établissements de transformation de sous-produits animaux, à des fins d'irrigation des cultures destinées à la consommation humaine ou animale.

Enfin, en 2012, l'Anses a complété les deux expertises précédentes et publié une évaluation des risques liés à des expositions par voies respiratoire et cutanéo-muqueuse lors d’opérations de réutilisation d’eaux usées traitées par aspersion d’espaces verts ou lors d’opérations d’aspersion d’eaux usées traitées utilisées pour le lavage de voiries (PDF).

Réutilisation des eaux grises

Les eaux grises sont des eaux non potables, pouvant présenter une contamination microbiologique et physico-chimique. Elles proviennent des douches, baignoires, lavabos, lave-linge et parfois éviers de cuisine et lave-vaisselle. Leur réutilisation après traitement s’est répandue au cours des dernières décennies dans certains pays au climat chaud et aride et dont la ressource en eau est insuffisante pour couvrir tous les besoins domestiques.

Les eaux grises traitées sont par exemple réutilisées  dans l’habitat pour l’alimentation des chasses d’eau des toilettes, le lavage du linge,  le lavage des sols, etc.). La réutilisation d’eaux grises traitées pour un usage domestique suscite un intérêt croissant en France mais aussi des interrogations considérant que celle-ci n’est par ailleurs pas autorisée, hors dérogation préfectorale.

Dans ses avis et rapport publiés en 2015 (PDF), l’Agence estime que la pratique de réutilisation des eaux grises dans l’habitat doit être encadrée, et ne doit être envisagée que pour des usages strictement limités, dans des environnements géographiques affectés durablement et de façon répétée par des pénuries d’eau. Par ailleurs, la population (résidents, utilisateurs occasionnels, professionnels) doit être informée et formée aux conditions d’utilisations nécessaires pour minimiser les risques associés à la présence d’un réseau d’eau non potable dans le bâtiment.

Utilisation de l’eau de pluie

Les pratiques de récupération et d’utilisation de l’eau de pluie pour des usages domestiques sont en augmentation depuis plusieurs années dans un but de réaliser des économies d’eau et/ou de maîtrise du ruissellement et des inondations. L’arrêté du 21 août 2008 relatif à la récupération des eaux de pluie et à leur usage à l'intérieur et à l'extérieur des bâtiments prévoit notamment la possibilité d’utiliser l'eau de pluie collectée à l'aval de toitures inaccessibles à titre expérimental, pour le lavage du linge, sous réserve de mise en œuvre de dispositifs de traitement de l'eau adaptés et sous certaines conditions.

L’Agence a mené une expertise relative à l’évaluation des risques sanitaires liés à l’utilisation de l’eau de pluie pour le lavage du linge chez les particuliers (PDF). L’identification et la caractérisation de l’ensemble des dangers microbiologiques et chimiques prépondérants n’a pas été possible au regard du peu de données disponibles publiées ou non et une évaluation des risques n’a donc pas pu être réalisée. Dans ce contexte, l’Agence recommande que l’eau de pluie ne soit pas utilisée pour laver le linge des personnes vulnérables incluant notamment les jeunes enfants, les personnes immunodéprimées, les personnes en hospitalisation à domicile, etc. L’Agence préconise par ailleurs l’élaboration d’un guide de bonnes pratiques du lavage du linge, quel que soit le type d’eau utilisé, afin de permettre aux particuliers d’être informés des pratiques d’entretien du linge (tri du linge, température, repassage) à mettre en œuvre afin de viser une hygiène optimale du linge.

Recharge artificielle de nappes d'eaux souterraines

Les ressources en eaux souterraines devraient répondre en permanence aux besoins des différents usagers. Or, au cours des dernières décennies, ces ressources sont soumises à des périodes de sécheresse plus fréquentes et les surfaces naturelles de recharge diminuent, ce qui a pour conséquence notamment de conduire de façon plus fréquente à des mesures de restriction des usages de l’eau au niveau local.

La pratique de recharge des nappes d’eaux souterraines peut répondre à différents objectifs, notamment le maintien quantitatif et qualitatif des ressources en eaux souterraines utilisées pour la production d’eau destinée à la consommation humaine ou pour l’irrigation des cultures, voire pour l’abreuvement des animaux. Cette pratique déjà mise en œuvre en France et dans d’autres pays nécessite d’être évaluée du point de vue des risques sanitaires. En effet, l’eau souterraine est mise sous influence de l’eau utilisée pour la recharge et il convient d’évaluer le risque sanitaire pour les usagers de l’eau issue des nappes souterraines rechargées.

Dans un avis publié en juin 2016 (PDF), l’Anses considère que cette pratique pourrait être déployée pour lutter contre la diminution des ressources en eaux souterraines, sous certaines conditions : 

  • la recharge artificielle de nappe ne doit pas dégrader la qualité de l’eau de la nappe d’eau souterraine, ni imposer, après prélèvement, de traitements des eaux supplémentaires pour un même usage par rapport à une ressource non rechargée ;
  • toutes les eaux souterraines rechargées doivent être compatibles avec leur utilisation, actuelle ou future, pour la production d’eaux destinées à la consommation humaine, afin de ne pas hypothéquer ces ressources pour l’avenir ;
  • la qualité de l’eau de recharge doit être meilleure ou au moins équivalente à la qualité de l’eau de la nappe.

     

Par ailleurs, le système de recharge artificielle de nappes mis en place doit pouvoir être utilisé de façon durable, nécessitant notamment une bonne gestion du site de recharge, une surveillance des contaminants potentiellement présents, etc. La recharge artificielle de nappes ne doit pas compromettre l’atteinte des objectifs environnementaux définis à partir de la directive cadre sur l’eau pour la masse d’eau souterraine et les projets de recharge artificielle de nappes doivent reposer sur un besoin spécifique lié à la ressource en eau ciblée (manque ponctuel, équilibre entre la demande et la ressource disponible).